Que ce soit en 2005 ou en 2020, les organisations traitent et produisent de l’information. Mais les réponses à ces besoins informationnels ne sont plus le seul « pré carré » des professionnels de l’information (veilleurs, documentalistes, community managers) : marketeurs, communicants, managers… Un ensemble d’activités où le management de l’information (numérique ou non) est central, et où chacun comprend très vite comment appuyer sur le bon bouton pour générer des résultats. Alors quid du veilleur/documentaliste ? Comment peut-il s’insérer dans ces nouvelles pratiques et attentes des organisations ? Et, surtout, valoriser son métier…
Je résume ici mes propos tenus dans trois conférences, et dont vous trouverez les présentations en fin de billet :
==> Veille Connect : qui s’est déroulé hier, avec près de 200 personnes, le tout au dernier étage de la tour Montparnasse. Une belle expérience d’échanges et de discussions sur nos métiers, à renouveler !
==> Une conférence dans le cadre « d’Educ Pro », plus axée sur le community management (mais avec des problématiques concernant aussi les veilleurs). Conférence qui s’appuie sur mon billet Community management & veille : si on arrêtait de seulement compter les likes et les RTs ?
==> Une conférence données au CNAM avec l’ADBS, et dont j’avais déjà fait la restitution sur le blog (avec un questionnement sur la fin de Google Reader)
Faire fonctionner des plateformes, c’est bien… Mais est-ce suffisant ?
Les entreprises, qui plus est avec une forte culture de l’ingénieur, aiment les outils. Un outil est rassurant. Un outil est objectif. On peut facilement calculer la rentabilité d’un outil. Avec une formation adéquate, tout le monde peut utiliser l’outil… Et tout le monde l’utilise : des plateformes de veille types Radarly ou Digimind Social où les résultats s’affichent sans manipulations complexes, aux divers outils statistiques gratuits existants, en passant bien entendu par les moteurs de recherche, difficile de ne pas trouver aujourd’hui des applications de veille pouvant s’adapter à des niveaux d’usages variés.
Le temps où les collaborateurs de l’organisation étaient impressionnés par des requêtes Google commence à être révolu… Qui plus est à l’heure des « data partout » ou encore de leur visualisation. Le professionnel de l’information doit-il monter en compétence ? Apprendre à développer (un peu), à utiliser des outils de scrapping ou de visualisation (comme Gephi), des crawlers, des langages comme R ou python… Oui, si son objectif est de se vendre par son niveau technique. Mais tout le monde n’est pas « technicien de l’information » (rien de péjoratif ici), ou fait preuve d’une appétence particulière pour les statistiques et la programmation.
Et même : comment justifier l’utilisation d’outils (comme un moteur de recherche) dont on ne connait pas les tenant et aboutissants ? Qui peut évaluer de manière fiable l’index Google dans lequel il fait ses recherches ? Le traitement des données effectuées par les plateformes avant de les capter par leurs API ? Premier point donc : vendre ses compétences et l’intérêt de son métier par sa capacité à utiliser des outils dont on ne connait que très peu le fonctionnement, montre vite ses limites.
Deuxième point : qui aime réellement passer ses journées à remplir des tableurs Excell ou à « lisser » les résultats fournis par les logiciels ? De mes multiples discussions (vision très limité je vous l’accorde, mais échantillonnage intéressant tout de même), je m’aperçois que cela lasse (très) vite. Et beaucoup de collègues avec qui j’ai commencé dans ce métier souhaitent passer (complétement) à autre chose (si ce n’est pas déjà fait).
Troisième point : à force de se « vendre » par la capacité à utiliser un logiciel, que se passera-t-il quand les logiciels produiront d’eux-mêmes des résultats ne nécessitant pas de travail humain derrière (ou vraiment très peu) ? Ou un travail ne requérant pas une connaissance accrue de la gestion de l’information ? Bref : si chacun peut appuyer sur des boutons et générer des résultats, quelle valeur ajoutée pour nos métiers de l’information (qui plus est numérique) ?
Les professionnels du management de l’information doivent sortir de leur « pré carré »
Je pense y revenir plus longuement dans un billet (quand j’aurai du teeeemps hein J), mais la question de la veille « ordinaire » ou quotidienne des collaborateurs me semble essentielle.
Non, ce n’est plus seulement le veilleur qui doit collecter, qualifier et diffuser l’information au sein de l’organisation. Oui, tout le monde traite de l’information dans l’organisation. Oui, les collaborateurs ont accès à Twitter et au moteur de recherche.
Tout comme les documents sont aujourd’hui traités en grande partie directement par les collaborateurs (mails, archivage en ligne de dossiers, partage, etc.), rien ne sert de combattre pour garder ces pratiques dans le giron des documentalistes… Au risque de voir chaque jour un peu plus les demandes diminuer et devenir routinières…
Tout comme d’ailleurs les DSI qui rêvent encore de contraindre les usages et l’accès au numérique, car ce sont eux les « spécialistes » qui doivent contrôler tout ce qui passe par les réseaux de l’organisation…
En résumé : ne plus valoriser son activité par la délimitation des usages, mais au contraire accompagner ces usages afin de mettre en valeur la capacité du professionnel de l’information à faciliter la circulation de celle-ci au sein de l’organisation. Un exemple « tout bête » (mais qui, par expérience, marche plutôt bien) : former les collaborateurs à utiliser une boite mail comme Outlook (mettre en place des règles, de l’archivage automatique, etc.). A l’heure où l’on parle (encore) d’infobésité et des mails qui ruinent la productivité, il me semble que le rôle des professionnels de l’information est de diminuer cette sensation de surcharge par le partage de « techniques » utiles.
Et cela s’applique aussi au moteur de recherche. N’oublions pas que quand un salarié arrive dans une entreprise, on lui dit généralement : voici votre ordinateur, votre navigateur, et votre boite mail. S’il n’est pas formé pour les utiliser… et bien il apprendra tout seul ! Commencer par des formations toutes simples offre ensuite la possibilité de faire infuser une culture de l’information et du numérique (« après avoir vu comment utiliser un moteur, on va voir comment évaluer une source, etc. »). Et, surtout, cela donne l’occasion de montrer l’intérêt de ses compétences et de son métier, et ainsi le valoriser.
Presser des boutons ET donner du sens : être un filtre, pas un bulldozer…
L’information est nécessaire pour réduire l’incertitude. Et, in fine, pour prendre des décisions.
Le management de l’information (et en particulier la veille) doit remplir ce rôle : faciliter une prise de décision. Et ce n’est que grâce à cela que l’on peut parler de « veille stratégique ». Sinon, il ne s’agit que de collecte et de diffusion dans de superbes rapports que personne (ou presque) ne lit.
Il n’est alors plus question de (seulement) produire des résultats, mais de produire du sens. De valoriser l’activité humaine. Même si cela est difficile dans des organisations obsédées par les chiffres, les processus et la technique, il est nécessaire de le rappeler : l’information est produite par les humains, puis consommer par eux. Il n’y a rien « d’objectif » ou de « neutre », il faut au contraire assumer et délimiter la subjectivité inhérente à tout traitement de l’information. Sinon, laissons faire les DSI, et laissons les machines discuter entre elles…
Le professionnel de l’information doit alors asseoir son rôle de filtre, et pas celui de bulldozer : traiter 10 000 messages par jour, c’est bien. Donner du sens à certains d’entre eux pour qu’ils s’intègrent réellement dans une prise de décisions, c’est mieux.
Malheureusement, pas de recette miracle. Mais des idées et des expériences qui peuvent marcher ou qui marchent. Idées et pratiques que j’ai déjà développé ici ou dans mon travail de recherche, et que je compte décrire plus tard sur ce blog. En voici quelques-unes :
==> Définir des contextes et des indicateurs : ne plus se limiter à ceux fournis par les plateformes, car que vous soyez une entreprise qui vend du saucisson ou des produits pharmaceutiques, les indicateurs restent les mêmes… Observer le contexte dans lequel va évoluer l’organisation pour produire des indicateurs en adéquation avec les publics (et pas juste les plateformes) et les objectifs de l’organisation est essentiel ;
==> Assurer la qualité de l’information : proposer des grilles communes de qualification, faciliter le partage (et pas uniquement avec un énième intranet réseau social), sensibiliser aux risques, accompagner les usages en favorisant la veille ordinaire… Bref, se valoriser par un rôle managérial et pas seulement technique ;
==> Communiquer plutôt que diffuser. Communiquer, c’est mettre en commun. Diffuser, c’est choisir un format et l’envoyer tel quel à tout le monde. Et ensuite s’étonner que personne ne lit la newsletter, voire fait appel à des prestataires pour produire les mêmes résultats. S’enquérir des besoins, usages et attentes des « consommateurs » de l’information au sein de l’organisation, insérer des informations qui rentrent dans leur consistance cognitive et pas seulement qui paraissent « pertinentes » pour le veilleur, parait basique mais semble pourtant peu pratiqué…
Un ensemble d’approche que je discuterai sur ce blog dans les mois qui viennent. D’ici là, je vous invite à lire les présentations ci-dessous !
Et vous, comment abordez-vous votre métier de professionnel de l’information pour les années à venir ? Et comment valoriser l’humain dans des organisations focalisées sur les outils ?!