La question du leader d’opinion est centrale à de nombreuses actions sur le web. Si certains parlent « d’influenceurs », il est nécessaire de souligner d’une part que le leader d’opinion n’existe pas en soi, qu’il s’agit d’une construction de l’organisation qui souhaite l’intégrer à ses stratégies. Et d’autre part de proposer des critères, et en l’occurrence une matrice, pour les identifier.
Les réflexions présentées ici sont issues d’une communication réalisée avec Marie Haikel-Elsabeh et présentée l’année dernière lors du colloque M@rsouin. Pour ce billet de rentrée, voici une réflexion en deux parties : pourquoi le leader d’opinion n’existe pas en soi, et comment « construire » et identifier un potentiel leader utile à vos stratégies.
Et pour celles et ceux qui veulent gagner du temps, la matrice prêt à l’emploi est à la fin du billet (mais bon, mieux vaut lire un peu les détails).
Le leader d’opinion existe-t-il vraiment ?
Faisons tout d’abord une croix sur la traduction du terme anglais influential : l’influenceur. Comme je le disais dans ce billet (et à la suite d’autres) l’influence se mesure suite à une action, elle ne peut se définir avant. Qui plus est, parler « d’influenceurs » suppose que ces dites personnes influencent intentionnellement. Ce qui peut être en partie vrai. Mais généralement, l’emploi de ce terme désigne des individus dont l’influence serait constante, dont les discours et les actes modifieraient quoi qu’il arrive certains comportements… Bref, que peu importe la situation, et surtout les objectifs de l’organisation, l’influenceur influence…
Mais qu’est-ce qu’un leader d’opinion ?
Il existe de très nombreuses définitions du leader d’opinion (en gestion et marketing principalement). Pour notre communication nous avons lu pas mal d’entre-elles (Lazarsfled, Feick et Price, del Carmen, Acar, Kozinets…), pour arriver à un constat : beaucoup d’entre-elles sont contradictoires !
Nous pouvons partir sur la définition donnée par Vernette en 2006 : le leader d’opinion est « une personne qui exerce une force d’attraction (physique, psychologique et/ou sociale) sur son entourage et qui dispose d’une forte crédibilité dans une catégorie de produit. Ses jugements et comportements influencent les attitudes et les choix de marques de son entourage dans ce domaine ».
Selon les auteurs, les caractéristiques d’un leader d’opinion sont alors nombreuses : connaissance et expertise sur une catégorie de produit, extraversion, réseau social développé, etc. Sur le web social, un leader d’opinion semble avoir les caractéristiques suivantes : fort partage de contenus liés à un produit (pour Vernette et Flores), capacités de recommandation d’un produit (pour Feick et Price), forte activité de partage de contenus sur les réseaux socionumériques (pour del Carmen), ou encore un temps important passé en ligne (pour Acar). En résumé, un ensemble de caractéristiques difficilement associables dans l’absolu, et qui surtout sont applicables à de (très) nombreux internautes…
L’utilité, pour une organisation, d’intégrer de leaders d’opinion à ses stratégies web est de pouvoir orchestrer une diffusion virale de ses contenus (le buzz quoi). Plus que changer les opinions, pour une organisation sur le web, un potentiel leader d’opinion va favoriser la diffusion de contenus porteurs d’opinions (et si possible allant dans le sens de la stratégie de l’organisation). Mais, encore une fois, la viralité, et surtout sa « manipulation » ne vont pas de soi… Et sont loin d’être une science exacte…
La viralité : plus une question de chance que de contrôle ?
Dans un très bon article, le chercheur Kevin Mellet propose une synthèse des principales recherches concernant la diffusion virale des contenus en ligne (et plus globalement le marketing viral). Sans (re)synthétiser l’ensemble de ces constats, on peut souligner que :
==> De nombreux travaux de recherche contestent l’existence même « d’influenceur » et de l’impact qu’un seul individu pourrait avoir dans un mécanisme de diffusion virale des contenus
==> Une grande partie des résultats d’une stratégie de diffusion virale est laissée au hasard
==> La réussite d’une stratégie de bouche à oreille dépend plus du contexte que de l’identification et du relai d’internautes clés
==> Les « internautes lambda » (et acceptant de jouer le jeu de l’organisation) sont les principaux leviers d’une diffusion virale
==> Les messages produits par l’organisation sont rarement transmis tels quels, mais ils sont constamment remixés voire détournés. D’où l’importance d’ailleurs de bien observer la manière dont les internautes prescrivent l’information, ainsi que les mécanismes algorithmiques propres aux plates-formes web.
En résumé : la viralité s’active pus qu’elle ne se gère, et les leaders d’opinion sur le web n’en sont pas irrémédiablement les acteurs clés. La question, pour une organisation, n’est pas alors de savoir « où sont les leaders sur ce sujet », mais plutôt « comment identifier les internautes pouvant appuyer une stratégie de diffusion définie ». Et ce en fonction du contexte et de certains indicateurs pouvant laisser supposer que ces internautes ont la capacité d’appuyer la dite stratégie.
Le leader d’opinion sur le web apparait alors comme un artefact, une construction de l’organisation venant répondre à ses attentes. Les indicateurs nécessaires à son identification sont ceux produits par les plates-formes (likes, RTs, followers, etc.). Mais surtout, rien ne sert d’identifier des relais clés sans avoir clairement défini à l’avance sa stratégie, les types de contenus à (re)diffuser, les publics, les communautés, et bien entendu le contexte.
Trois grandes catégories d’indicateurs : structurelle, réputationnelle et informationnelle
Plutôt que des « leaders » parlons de diffuseurs : des internautes dont certains indicateurs d’activité peuvent favoriser la diffusion des contenus et des messages d’une organisation. Même si leur détection est loin d’être fiable, et si leurs capacités de diffusion se mesurent après-coup, il est possible de s’appuyer sur certains critères/indicateurs pour estimer leur pertinence dans une stratégie.
Par expérience (pour avoir mis en pratique la matrice qui va suivre) ces critères ne sont en rien prédictifs (bien que parfois), mais permettent dans l’absolu de faire le tri entre les internautes que l’on cible précisément, ceux que l’on souhaite seulement observer, et les autres. Avec Marie, nous proposons de classer ces indicateurs/critères selon trois grandes approches/catégories que voici.
L’approche structurelle, consiste à identifier le leader d’opinion par son contexte et son positionnement dans un réseau :
==> Par contexte, nous entendons l’activité informationnelle entourant les thématiques que ce potentiel diffuseur aborde, et dont l’évaluation peut passer par des questionnements du type : y a-t-il de nombreux acteurs qui traitent du sujet ? Le sujet est-il fortement traité ou non sur le web ? Existe-t-il un public actif (qui produit de l’information, engage des conversations, etc.) ou non pour ce sujet ?
==> Par positionnement sur un réseau, nous proposons de nous reposer sur l’analyse des réseaux sociaux et la théorie des graphes (à l’aide d’outils comme NodeXL ou Gephi), et de définir ainsi chez l’individu observé (par rapport à un réseau donné) :
==> La présence de trous structuraux (l’individu fait-il le lien entre plusieurs groupes), avec des critères comme le volume de contacts, la densité de ces contacts ou encore les liens entre ces contacts
==> Les formes de liens, forts ou faibles, avec des critères comme la fréquence d’interaction, les formes d’interaction (ce que le potentiel diffuseur dévoile de lui) ou encore la proximité
==> La centralité du diffuseur dans ses réseaux : de degré (nombre de contacts nécessaires pour atteindre tous les autres), de proximité (contacts directs ou indirects) ou encore d’intermédiarité
L’approche réputationnelle suppose des s‘intéresser à l’autorité (plus que l’influence) d’un internaute en se questionnant sur divers critères liés à son identité numérique et à ses publications sur le web :
==> La notoriété dans une communauté donnée du potentiel diffuseur (l’associe-t-on aux sujets qui intéressent l’organisation ? Est-il souvent cité ?)
==> Sa popularité/visibilité sur le web (tout du moins celle de ses supports d’expression) pour des requêtes précises : volume de liens entrants, positionnement sur les moteurs de recherche, audience, volume d’abonnés
==> L’expertise, et par comparaison de celles déjà existantes sur le sujet. Mais surtout en fonction des attentes du public
==> Le volume d’information/contenus diffusé
==> Des critères quant à la crédibilité même des sources où il s’exprime
L’approche informationnelle, soit la manière dont les informations et contenus qu’il diffuse sont « utilisés » par un public donné :
==> Volume de (re)diffusion de ses contenus sur le web
==> Volume de commentaires associés à ses contenus
==> Type et contenus des commentaires (ou métadonnées) associés à ses contenus
==> Références au contenu produit ou à l’information diffusée lors de débats au sein d’un réseau/communauté
==> Ou encore les possibles détournements qui sont faits de ses contenus ou informations qu’il diffuse
Vous trouverez sur ce blog ou ailleurs une multitude d’outils vous permettant d’accéder à ces indicateurs.
Définir l’impact voulu : faire connaitre, faire voir, faire partager et faire réagir
Si avant toute chose vous devez définir une stratégie, il convient alors d’en établir les résultats souhaités. Ces résultats visent à mettre en corrélation les indicateurs de détection des diffuseurs avec les effets que l’on peut (ou que l’on veut) attendre de leur part. Encore une fois, le but est ici de structurer une stratégie afin de ne pas se reposer sur une approche au doigt mouillé… Ces impacts voulus peuvent être abordés en quatre catégories (non exhaustives et groupables).
Faire connaitre, que l’on peut traduire par l’accroissement de la notoriété du produit/service ou de la marque. Sur le web, ces critères peuvent être :
==> Le volume de liens entrants générés vers la source où est le contenu que l’entreprise veut diffuser
==> La visibilité et le positionnement du nom du produit/service/marque sur les moteurs de recherche ou certaines plates-formes
==> Les reprises du discours ou des contenus produits par d’autres sources
==> Le volume de reprises du nom du produit/service sur une plate-forme donnée (par exemple, les retweets sur Twitter)
Faire voir, soit le fait de générer une audience et de la pérenniser par la suite (pour une vidéo publicitaire ou un site de marque par exemple). Les indicateurs de mesure d’audience sont généralement :
==> Le volume de visiteurs uniques en provenance directe
==> Le volume de visiteurs uniques provenant d’autres sources
==> Le volume de visiteurs uniques en provenance des moteurs de recherche
==> Le volume de pages vues
==> Le temps de visite par visiteurs
Faire partager, à savoir inciter, voire se reposer sur la propagation du contenu ou de l’information par le public cible (principe de la viralité). Les indicateurs d’impacts sont ici multiples en fonction des plates-formes (tweets sur Twitter, likes sur Facebook, trackbacks sur les blogs, +1 sur Google+, etc.).
Faire réagir, soit inciter les internautes à commenter les contenus produits, à les noter ou les évaluer.
Proposition d’une matrice
Le tableau suivant vise donc à regrouper les indicateurs de détection et ceux d’impact, et permettre de les croiser. Par exemple : pour faire connaitre un produit, il faudra identifier et calculer tels indicateurs d’un internaute potentiel diffuseur.
Notons que les critères/cractéristiques sont indicatifs et que de nombreux autres peuvent être ajoutés (en fonction du contexte, des plates-formes, etc.).
Au final…
Vous pourriez m’objecter que Klout et d’autres proposent déjà cela… Ce à quoi je réponds : oui, mais là pas question d’un algorithme obscur, mais de vos propres choix en fonction de votre propre stratégie.
Vous pourriez me dire qu’il existe de nombreux autres indicateurs. Oui, mais le but de cette matrice n’est pas de vous donner une recette magique, mais bien de voir comment structurer sa propre grille de détection et de mesure.
Enfin, il peut paraitre paradoxale de souligner que les leaders d’opinion (et autres influenceurs) n’existent pas dans l’absolu, et proposer au final une grille d’identification. Mais encore une fois, la question n’est pas de savoir « qui est le plus influent », mais « qui va pouvoir appuyer certains de mes objectifs ». Et plus spécifiquement de diffusion. Sachant que, bien entendu, vous ne pouvez en rien prédire ce qui se passera, mais seulement prévoir ce en quoi tel ou tel « leader » participera ou non au bon déroulement de votre stratégie.
Et vous, quels critères employez-vous pour identifier et caractériser des internautes ? Que pensez-vous de croiser les effets désirés à des indicateurs plus conventionnels ?!