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7 janvier 2013 1 07 /01 /janvier /2013 17:18

Veille-technique-2-copie-1.gifLes veilleurs ne risquent-ils pas de devenir d’ici peu des « presse bouton » ? Pour entamer l’année 2013, que je vous souhaite belle et pleine de réussites ), voici quelques constats et réflexions sur le devenir du métier de veilleur (voire de la veille ?). L’objectif ici est plus de susciter le débat (certes peu enchanteur en ce début d’année), que d’apporter des solutions toutes faites ou des bonnes recettes à appliquer.


J’aurais pu formuler différemment le titre de ce billet : est-ce que trop de technique tue la technique pour la veille ? Doit-on systématiquement industrialiser la veille sur le web ? Ou encore, doit-on repenser la place des outils dans nos activités ?

 

Le philosophe Bernard Stiegler pourrait dire (en caricaturant un peu sa pensée) que tout est technique. Plus que des techniques donc (indissociables de la veille et la recherche d’information sur le web) il convient de parler ici de technologies.


Loin de moi l’idée d’être technophobe (j’aime bien décortiquer les outils et ne remet pas en cause leur utilité), mais plutôt de partir de plusieurs constats et de questionner ici l’importance grandissante des outils et autres algorithmes dans les pratiques de veille. Voyons ces constats…

 

 

Constat n°1 : l’humain n’est pas fiable. Les statistiques le sont-elles plus ?

 

Dans une étude publiée en 2009 Lesca et al. soulignaient, parmi d’autres choses, que la faible utilisation par les dirigeants des informations issues des cellules de veille stratégique est due à plusieurs présupposés. Ceux à retenir ici sont que : les dirigeants trouvent les informations fournies trop nombreuses et faibles en significations ; et « L'interprétation des informations anticipatives et des signaux faibles relève davantage de processus cognitifs imaginatifs et créatifs des personnes que de modèles et de traitements informatiques statistiques classiques ».


Le deuxième présupposé (pour ma part et par expérience il me semble plutôt que c’est un constat assez général) est intéressant : quand de nombreuses grandes entreprises françaises sont dirigées par des ingénieurs, les modèles statistiques paraissent plus fiables que la compréhension humaine de faits humains. La mise en signification que l’on demande à un veilleur (la mise en forme du renseignement, l’in-formation) doit reposer sur des méthodes permettant d’arriver pour tous au même résultat, à la même interprétation. Ce qui est bien entendu impossible par essence…


Mais Zorro les « Big Data » sont arrivées : avec moins de travail humain, on peut mathématiquement donner du sens à une donnée et produire une information ! Si certain(e)s se questionnent justement sur ce peu de travail humain toujours nécessaire (une cartographie, fusse-t-elle très jolie et interactive, ne signifie rien en soi, c’est un élément de preuve), d’autres font le choix de s’appuyer sur des outils et algorithmes dont ils connaissent peu les tenants et aboutissants, mais qui au moins paraissent plus fiables que leurs collaborateurs. Magie toujours : la veille qui se veut anticipative trouve là un allier de choc, puisque les statistiques semblent permettre l’anticipation (l’humain étant par nature prévisible).


Premier constat donc : si notre métier doit passer par le traitement et la visualisation de grands jeux de données (pas le choix, il s’agit juste d’une mise en adéquation entre l’offre et la demande), il est nécessaire d’apporter des compétences en plus. Qu’elles soient méthodologiques, d’analyses ou tout simplement pour réinjecter de l’humain dans l’automatisation. Les formules mathématiques ne peuvent servir constamment d’alibi (ce sont les « données qui parlent »), au risque de ne plus que presser des boutons de calcul (et au mieux produire les algorithmes, mais là on passe à d’autres compétences). Donner du sens pour permettre la prise de décision doit rester inhérent au travail de veille.


 

Constat n°2 : la veille comme compétence

 

Dans La veille est un métier, pas une compétence… je soulignais (abruptement pour créer le débat) que la veille, spécifiquement sur le web, est devenue une activité ordinaire pour de nombreux professionnels. Notamment car les outils dédiés sont accessibles (en termes d’usages), que les besoins sont de plus en plus nombreux, etc.


Sans vouloir refaire ici les mêmes constats, l’on peut noter qu’en croisant celui-ci avec le constat précédent l’on comprend un peu mieux certaines offres d’emplois : plutôt que recruter un veilleur et le former au domaine d’activité, on va recruter un ingénieur (par exemple) et le former à la veille. Car les outils sont facilement accessibles, car ce qui compte c’est plus l’analyse et le conseil que le traitement de l’information en elle-même. L’e-réputation à cette particularité que (pour l’instant) la manière de traiter l’information parait plus importante que la connaissance d’un secteur d’activité précis. Mais à l’avenir ? Devra-t-on tous retourner à l’Université pour obtenir un nouveau diplôme ? Il semble que là aussi si la seule compétence d’un veilleur est technique (faire marcher un outil), qu’elle ne va pas plus loin dans l’accompagnement pour la prise de décision et que les compétences du dit veilleur ne s’intègrent pas globalement aux besoins informationnels de l’organisation, alors il ne reste plus qu’à se spécialiser (ou devenir consultant, mais là aussi les places sont chères).


 

Constat n°3 : la veille s’industrialise

 

Comme l’e-réputation… Et comme toute activité humaine depuis deux siècles pourrait-on même dire. Qui dit industrialisation dit réduction des coûts, automatisation des tâches, « maîtrise de l’outil de production », etc. Donc focalisation sur les outils.


Pour ma part, je reçois souvent des CV où la « maîtrise » d’un ou plusieurs logiciels est mise en avant. Bien. Mais si nous n’utilisons pas ce logiciel de veille ? Si l’activité suppose aussi du management, ou une part de gestion des connaissances ? Si j’ai déjà une direction du CRM et une autre des études qui fait du quantitatif ? Et au fait, si des consultants peuvent aussi  faire tourner l’outil, vais-je vous recruter ?


Démontrer que l’on peut s’insérer dans la chaine de montage décisionnelle est une bonne chose. Mais à trop se spécialiser, à trop mettre en avant que l’on est expert d’une « machine », on apparait moins indispensable…


Loin de moi l’idée de dire qu’il faille moins de personnes opérationnelles, au contraire, je rencontre plus d’étudiants « futurs responsables de l’IE » que voulant mettre les mains dans le cambouis. Mais se définir seulement par un outil et par sa capacité à l’utiliser répond à des besoins spécifiques et limités dans le temps…  On peut noter qu’aux USA les métiers sont par ailleurs souvent séparés : le dataminer cherche l’information, l’analyste l’analyse. Les formations universitaires actuelles (et de plus en plus nombreuses) devraient alors s’interroger sur la pertinence de partenariats avec  un seul éditeur, autant que sur des approches parfois stratosphérique sur la veille (difficile « juste milieu »)…

 

 

Constat n°4 : la veille par les réseaux, un nécessaire besoin managérial

 

Si les outils prennent le pas sur l’humain, car ils paraissent plus fiables et surtout moins couteux, le développement de la curation recommandation sociale sur le web réinterroge notre métier. Etant donné le volume d’articles à ce sujet sur ce blog, pas la peine de revenir sur ce phénomène.


Mais cet appui sur les pratiques informationnelles des internautes associé au développement de la veille comme une compétence à part entière de nombreux métiers, faire ressortir de mon point de vue les besoins en management : management des sources d’informations, management des collaborateurs ayant des besoins en veille, ou encore accompagnement de ceux en faisant déjà de leur côté.


Petit à petit le métier de veilleur va donc moins s’orienter vers la seule utilisation d’objets techniques, mais vers une gestion plus large des données collectées sur diverses sources : qualification des sources, mise en contexte et en signification des diverses études produites, définitions d’indicateurs pertinent pour l’entreprise, sensibilisation à l’importance de l’information et de son traitement, animation des « réseaux de veilleurs », etc.


Plus qu’un collecteur/analyste, le veilleur va-t-il devenir un « référent qualité » de l’information en entreprise ? Il ne s’agit ici que d’une intuition (prenez là comme ma prédiction pour 2013 ). Voire d’une proposition pour les actuels ou futurs veilleurs dont chaque restructuration entame quasi-systématiquement leurs budgets ou modes de fonctionnement. Car quand les outils ne fourniront plus de résultats mais des réponses, quid de celles ou ceux étant là pour générer des résultats et les transformer en réponses ?


 

Constat n°5 : des algorithmes paraissant irremplaçables

 

Avez-vous remarquez que Google Actualités propose maintenant des « articles de fond » ?!


Veille-technique-1.jpg


Quel fond ? Quels critères ? Google arrive-t-il à donner du sens aux informations ? Se base-t-il seulement sur votre historique ? Sur les citations ?


Par ce capitalisme linguistique et cette économie de l’expression propre à Google l’on voit émerger une fois de plus des formes de mise en signification spécifiques aux algorithmes. Seriez-vous prêt à envoyer à un décisionnaire un article jugé comme « de fond » par Google sans même le consulter ?


On peut supposer que non…aujourd’hui. Google développe ces fonctionnalités pour orienter l’attention, éviter la surcharge cognitive : tout comme le veilleur dans l’organisation ! Mais si les critères du moteur le plus utilisé en France deviennent au fil du temps une référence (et comme c’est déjà le cas pour certains aspects comme la pertinence, l’autorité ou la popularité), que feront alors les « veilleurs presse bouton » ? Qui plus est si le traitement automatisé et algorithmique de l’information parait plus fiable aux dirigeants…

 

 

Pas de solutions mais quelques réflexions

 

Si certains de ces constats se confirment dans l’avenir, il apparait nécessaire de penser à la suite. Point ici de solutions miracles, mais quelques réflexions qui méritent discussion (comme les constats en eux-mêmes d’ailleurs) :


==> Intégrer systématiquement des questionnements et critiques sur les outils. Pour avoir lu de nombreux articles sur la veille et assisté à beaucoup de conférences ou grands raouts dédiés, rare sont les remise en cause que j’ai pu lire ou entendre. Présenter un outil, son utilité et ses performances est nécessaire. Montrer ses limites l’est parfois encore plus. Si les dirigeants sont persuadés que l’analyse statistique est plus fiable que l’analyse humaine, alors autant ne pas aller en tant que professionnels dans le même sens.


==> Ne plus nous définir par nos capacités de traitement (du volume, toujours plus de volume), mais au contraire par le fait de pouvoir traiter des volumes plus réduits et pertinents, et surtout plus riches en significations. Traiter automatiquement des grands volumes de données : ok. Les mettre en forme, leur donner du sens par leur visualisation : ok. Mais la vraie valeur du veilleur ne vient-elle pas de sa capacité à produire du sens avec peu d’informations ? Qui plus est quand les décisionnaires en veulent peu.


==> La veille ne se limite pas à la collecte. Collecter ou visualiser de l’information doit toujours être pensé en fonction du processus décisionnel. Plus facile à dire qu’à faire, certes, surtout lorsqu’il s’agit de faire la part entre le rôle opérationnel et celui de management. Au final, la veille ne devient-elle pas un métier de gestion de processus faisant appel à de nombreuses autres compétences (datamining, visualisation, etc.) ?


==> Faut-il ne plus voir la veille comme un métier portant sur des « objets » (le document, les outils de veille, les moteurs de recherche, etc.) mais plutôt comme une activité visant à donner du sens à la donnée ? Un métier visant à une compréhension de l’agir des internautes (pour l’e-réputation) et sur une interprétation en vue d’une décision? Bref, comme le développement d’un nécessaire point de vue sur l’information allant au-delà des besoins business et à court terme. Avec les risques que cela implique mais qui me semblent tout autant « dangereux » que ceux induits par l’utilisation non-réfléchie d’outils.

 

 

Au final…

 

J’ai l’habitude de commencer l’année par un billet plus pragmatique, et peut être moins alarmiste (bien que ce n’était pas le but ici). Mais, au-delà de ma jeune expérience, ces différentes réflexions partent de discussions récentes avec des collègues ou amis veilleurs. Beaucoup s’angoissent non pas d’intégrer de nouvelles technologies/techniques, mais de leur rôle dans le processus décisionnel qui s’amoindrie de jour en jour.


Peut-être que « presse bouton » est un peu fort. Peut-être que parler d’avenir de la veille est un peu fort aussi. Mais l’idée est là : la veille est en constante évolution, pas dans le fond mais dans la forme. La forme ne doit pas alors prendre le pas sur le fond. Outils, appellations, missions, positionnement hiérarchique : s’adapter est nécessaire, mais cela mérite réflexion.

 

Et une réflexion collaborative : le débat est ouvert…


De même, si certains d’entre vous souhaitent organiser un débat à ce sujet (pour et avec des professionnels) alors n’hésitez pas à me faire signe .


Et vous : comment abordez-vous la place prépondérante des technologies et techniques dans la veille ? Quelles sont les opportunités ou risques à plus long terme ?!

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commentaires

C
Excellent article.<br /> La technologie reste un moyen, et pas un but. L'intelligence humaine reste encore difficilement reproductible.
D
C'est sur que l'humain peut être remplacé pour une tache simplette mais il apportera toujours un plus face à une machine (si il fait bien son travail :))
O
Organiser une veille sur un sujet donné n'est pas facile. Il faut être prêt à remettre en cause souvent sa méthodologie pour la parfaire et intégrer les évolutions (tant en terme de contenu que de<br /> technique).<br /> <br /> Pour ma part, que l'on parle de veille ou de curation, je pense que "le collaboratif" doit être pris en compte. Un veilleur peut définir une méthodologie pertinente, il peut avoir une vision<br /> experte d'un sujet donné et passer tout son temps à traiter l'information et la restituer. Mais il ne s'agit que d'un seul veilleur, en mode push vers ces lecteurs.<br /> <br /> Une veille peut aussi se créér de manière collaborative, en mode P2P, afin que chacun informe les autres. On manque encore d'outil pour cela ... mais on a déjà des briques pour définir différentes<br /> solutions ;)<br /> <br /> La veille collaborative : c'est l'axe que l'on a suivi sur http://www.apprendre2point0.org/veille-collaborative/ : tout les membres du réseau peuvent suggérer un article aux autres. Nous disposons<br /> ainsi d'une veille partagée, axée sur différents thèmes et exprimée par différents acteurs (donc différents points de vue et différentes expertises). La veille est ainsi très riche et nous assure<br /> surtout qu'elle ne devienne pas "l'expression d'un seul individu" mais donne bien une vision globale. :)
S
Merci Camille pour ce billet.<br /> A le vieux débat : outils et/ou veilleur... Ca fait plus de 10 ans que je suis compagnon de route et il revient toujours car il permet de mieux définir les lignes.<br /> Qui à paraitre définitif j'ai toujours pensé, pour paraphraser une formule célèbre, que tous veilleur qui peut être remplacer par un ordinateur (c'est à dire un algorithme) mérite de l'être !<br /> Tu as justement pointé le nirvana du "big data" qui semble être pour certains l'incontournable de la pensée stratégique. J'observe dans mes lectures et ma pratique professionnelle que c'est<br /> l'inverse. Les succés de demain sont plus à rechercher dans des ouvrages comme Océan Bleu ou CREATE the impact equation que dans les habituels traités de stratégie. Et là mais la place me manque la<br /> place de la veille traditionnel se réduit sacrément puisque l'on rentre dans un monde où le relatif est plus pertinent que l'absolu .<br /> Une piste ? que les veilleurs se forment à la facilitation graphique (et pas seulement aux cartes heuristiques)
C
<br /> <br /> Merci pour ce commentaire.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ne sais pas s'il s'agit d'opposer le veilleur à l'outil (l'un ne peut se passer de l'autre, enfin surtout le veilleur de l'outil), mais plutôt de réfléchir à leur complémentarité.<br /> <br /> <br /> Je suis plus que d'accord, si l'outil le fait, alors laissons le faire...<br /> <br /> <br /> Si des entreprises développent cette approche du relatif, je pense que (de manière assez pessimiste) au contraire la majorité d'entres-elles continuerons à vouloir systématiquement rationnaliser<br /> leurs décisions au maximum, ou tout du moins continuer à aborder la stratégie informationnelle par le prisme de l'ingénierie : de manière procédurale, en limitant les risques (ce qui explique le<br /> très faible niveau de R&D en Sciences Humaine en France)...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Mais peut-être me tompes-je?! <br /> <br /> <br /> <br />
A
Bravo pour cet article dont je partage largement les arguments et conclusions.<br /> Merci surtout d'avoir rayé le mot "curation" (quelle horreur, ce terme !) pour le remplacer par... autre chose. Enfin !<br /> J'ajouterai que, de mon point de vue, la veille se doit de devenir une veille sélective. Et que cette veille sélective soit pensée comme un produit de renseignement. Le veilleur doit avoir la<br /> volonté, les capacités et les compétences pour faire de cette simple retransmission de l'information un moyen de faire passer un message. Même s'il n'a pas l'opportunité de transmettre le fruit de<br /> son analyse, en sélectionnant l'information pertinente, il contribue à infléchir la vision des décideurs.
C
<br /> <br /> Merci <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> C'est vrai que le terme curation est moche, mais vu son emploi actuel je pense qu'on ne peut pas y couper (comme "buzz" et autres)...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Oui, aborder la veille comme une mise en forme du renseignement plus que comme le traitement d'un volume de données parfois bien inutiles quand on sait que de nombreux décisionnaires déploient<br /> une rationnalité toute limitée (cf. H. Simon).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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