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Google, au centre de toutes les attentions et des usages du web, vient encore de réduire ses filtres de recherche. Est-ce une adaptation aux usages réels ? Une volonté de nous insérer un peu plus dans des « bulles informationnelles » ? Ou affirmer sa volonté (intentionnelle ou non) de nous orienter vers ce qui est pertinent pour l’algorithme (et les portefeuilles des actionnaires) ?
Voici un petit texte rédigé dans le cadre d’un projet d’étudiants de l’IAE de Poitiers et qui devrait paraitre, avec d’autres, dans un livre blanc dans les semaines qui viennent. Il est donc à visée de "vulgarisation" (simplifié en somme -bien qu'il me semble que cela ne soit pas évident pour tout le monde...). Pour des réflexions plus poussées sur ce sujet, suivez les liens insérés dans le billet.
« Si tu ne sais pas, va voir sur Google »… Cette injonction, que nous avons tous entendu un jour, parait révélatrice de la place que le moteur de recherche de la firme de Mountain View occupe aujourd’hui. Comment trouver un restaurant près de chez soi ? A quelle date est sorti tel film ? Comment réparer un sèche-cheveux ? Autant de questionnements variés dont les réponses se trouvent dans le méandre de l’un des plus grands index documentaire au monde.
Comme souvent lorsque nous abordons la question de la recherche d’information, je demande à mes étudiants pourquoi ils utilisent Google et pas un autre moteur. Les réponses sont variées : c’est le plus ergonomique, il est par défaut dans de nombreux navigateurs, on ne connait que celui-ci… Mais la réponse phare est la suivante : parce que les résultats sont pertinents. Et c’est là toute la force de ce moteur. Des années d’affinement et de développement de l’algorithme de classement originel, le PageRank, ont permis à toute une génération d’utilisateurs d’Internet de faire correspondre les résultats du moteur à l’idée « d’information pertinente ». Mais est-ce la hiérarchisation des résultats qui est pertinente dans l’absolu ? Ou le fait de n’utiliser que Google qui, avec le temps et une certaine paresse cognitive, nous fait voir la pertinence par le prisme de l’algorithme du moteur ?
La réponse ne peut bien évidemment pas être si manichéenne. La question doit alors se déporter selon moi sur les critères de pertinence du moteur, tout en gardant à l’esprit que sans parler de « Google addiction » il y a bien dans notre pays une utilisation quasi-exclusive du moteur. Et que la notion même de pertinence[1] informationnelle doit être reconsidérée, et critiquée, à l’aune de ce que Google souhaite définir comme pertinent. De nombreuses recherches s’interrogent aujourd’hui sur le fonctionnement du moteur de recherche et l’emprise qu’il a sur notre quotidien de consommateurs d’information. Cette « anthropologie de l’algorithme » s’intéresse notamment aux fondements philosophiques et politiques ayant amené à la création du PageRank.
Les deux fondateurs de la firme ont, il faut le dire sans ambages, révolutionné le fonctionnement des moteurs de recherche. Leur principe, assez simple dans l’absolu, s’est basé sur la mesure bibliographique : plus une page web recevra de liens en provenances d’autres pages web, plus celle-ci sera bien classée (pour des mots-clés donnés) dans les résultats du moteur. Avec, bien entendu, un ensemble de critères de pondérations (statut de la page émettrice d’un lien, ou audience par exemple). Ce principe étant énoncé, il n’en reste pas moins que les effets du PageRank sur le traitement des données et la « mise en pertinence » des informations reste obscur.
Mais une dominante ressort néanmoins : ce qui est bien classé (le plus visible, donc le plus accessible) n’est pas ce qui est pertinent, mais ce qui est populaire. Par analogie, et toujours dans un contexte d’enseignement, cela reviendrait à demander aux étudiants : « parmi ces définitions, choisissez celle qui vous convient le mieux. Celle qui aura le plus de votes sera considérée comme définition de référence ». Si le principe est louable, et dans les faits relativement efficace, les effets en termes d’appropriation et de choix de l’information le sont moins. L’utopie des « foules intelligentes » et de la « démocratie numérique » que sous-tend en partie le modèle de Google ne résiste pas à des analyses plus profondes. Le statut accordé par l’algorithme à une page web (son volume de liens entrants, etc.) devient synonyme de son autorité, de sa légitimité à informer. C’est donc les sites ayant déjà de nombreuses interactions, faisant le plus de publicités, bref avec le plus de moyens financiers et humains, qui font autorité, laissant les plus petits sites dériver au-delà de la première page de résultats (celles « que personne ne consultent »). Et, contrairement à une certaine vision démocratique de ce fonctionnement, ce qui fait pertinence n’est plus ce qui répond à la question mais ce qui dépend du pouvoir accordé aux sites en fonction de leur respect des règles édictées par le moteur…
A l’heure actuelle, Google développe une nouvelle manière de classer ses résultats. Non plus en s’appuyant uniquement sur le document, mais sur l’auteur de celui-ci (l’AuthorRank). Cette « pertinence » qui fait son attractivité ne sera plus seulement renforcée par l’utilisation effrénée et sans recul du moteur. Mais elle se trouvera centrale dans notre consommation de l’information par l’ajout d’une couche algorithmique qui fait écho à nos besoins d’individuation : les résultats seront pertinents car produits et partagés par des personnes qui nous ressemblent. A force de ne trouver des réponses que par le prisme de nos pairs, ne risque-t-on pas de s’enfermer dans une cage (dorée certes) informationnelle dont seul Google aurait les clefs ?...
[1] Définissable en première instance comme la « Qualité de ce qui est adapté exactement à l'objet dont il s'agit » (selon le Trésor de la langue française informatisé)