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L’infobésité (buzzword s’il en est) n’est pas un concept nouveau, mais devient ces derniers temps une sorte de marronnier : trop d’informations, trop de mails, trop de
données… Seulement, si le terme en lui-même est contestable (bien que parlant, nous verrons pourquoi), il semble qu’il soit à l’heure actuelle mal employé. Plutôt que de se focaliser sur la
« surcharge informationnelle », pourquoi ne pas se questionner sur la qualité de ces informations ?
En rentrant de vacances j’ai, comme beaucoup de « travailleurs de l’information », retrouvé mes agrégateurs, boites mails et
autres réceptacles informationnels, « légèrement » surchargés. Là où, de prime abord, j’aurais pu crier « trop d’infos tue l’info », j’ai commencé par en faire le tri puis la
lecture. Et, bizarrement, j’ai plutôt bien digéré toutes ces infos et données… Car (et c’est le centre de mon propos) : si infobésité il y a, il s’agit plus d’une question de ce que
l’on ingère et la manière dont on l’ingère, que de quantité. Comme pour la nourriture en somme (et désolé d’avance mais ce billet sera truffé d’analogies gastronomiques ).
De plus, j’ai pu lire de nombreux articles sur la question de l’infobésité qui semble-t-il a animé le mois d’août : les articles journalistiques à tendance marronniers (trop d’informations va tuer nos entreprises, haltes aux mails, etc.), mais aussi des billets soulignant que la surcharge informationnelle était un mythe (et spécialement ceux d’Aref sur Demain la veille).
Voyons en quoi l’infobésité est bien présente, mais s’oriente plus vers une diététique informationnelle, que vers une question de volume.
Trop d’infos : la faute au web ?
Un des premiers aspects lorsque l’on parle actuellement d’infobésité est de souligner que (comme beaucoup de choses me direz-vous) c’est la faute du web (et des méchants zinternets). Bien que cette notion existe depuis pas mal de temps dans la littérature en management ou en psychologie (voir par exemple cet article de 1980), il semblerait que le développement du numérique accentue la focalisation sur ce phénomène.
Dans un billet, Aref souligne que la question du trop-plein d’infos est discutée depuis des siècles. Si la démonstration est intéressante et permet de remettre certaines idées en place, il parait tout de même nécessaire de souligner que le support du livre et différent de celui du numérique (jusque-là rien de bien original).
Et, surtout : chercher et consommer de l’information en bibliothèque ne peut être comparé aux mêmes actions sur le web :
==> Une bibliothèque est structurée, le web l’est moins
==> Dans une bibliothèque, généralement ce n’est pas le chemin d’accès au document qu’il faut mémoriser (contrairement au web), mais le nom de celui-ci ou de son auteur
==> Sur le web, la médiation est automatisée et algorithmique dans la majorité des cas… En bibliothèque, vous avez un bibliothécaire
==> Dans une bibliothèque, vous êtes face à des supports papiers (principalement, audio ou vidéo s’il s’agit d’une médiathèque)… Dans notre « univers numérique » vous devez pouvoir gérer des interfaces différentes : smartphones, logiciels, pages web (structurées différemment), télévision, etc.
==> A l’heure actuelle, de plus en plus vous êtes attiré par de nombreuses informations contre votre volonté. Par exemple, le développement des panneaux publicitaires vidéos questionnent déjà de nombreux cogniticiens : on ne peut pas y échapper, le mouvement attire fatalement l’œil…
Bref, si le volume de connaissances est toujours élevé, le numérique change sa mise à disposition. Et surtout les formes
d’attention nécessaires pour y accéder. Et le fait que "tout le monde" (ou presque) y a accès (contrairement à il y a quelques temps).
Chacun étant limité d’un point de vue cognitif (traitement de l’information), la question n’est donc pas dans le volume à traiter, mais dans la manière de le traiter et la rapidité avec laquelle le seuil de tolérance peut être atteint. Et le web, le numérique en général, y est pour quelque chose…
Prendre du poids, c’est faire du muscle… ou faire du gras
Si nous mettons de côté le fait (important) que nous ne sommes pas tous égaux au niveau de nos capacités cognitives, reste que dans tous les cas, nous sommes tous prédisposés à un jour ou l’autre avoir trop d’informations à traiter.
De mon point de vue, l’on peut faire une analogie (plus que triviale mais néanmoins assez démonstrative) entre le fait de consommer de l’information et celui de consommer la nourriture. C’est d’ailleurs ce qui rend le terme infobésité assez parlant donc intéressant à employer pour résumer simplement des phénomènes assez complexes.
==> Si vous ne mangez que des aliments avec trop de graisses saturées, alors vous allez prendre du poids = si vous ne lisez que des informations en provenances du blog de Morandini (exemple pris au hasard, ou presque), alors vous allez surement diminuer vos capacités à traiter par la suite de l’information complexe
==> Si vous ne faites pas un minimum d’efforts physiques, alors vous allez prendre du poids = si vous ne vous faites pas l’effort de « muscler » votre attention sur des informations nécessitant une forme de réflexion (comme associer ce que vous lisez à des connaissances déjà acquises), alors peu à peu vous risquez de vous sentir dépasser par un surplus d’informations (i.e en cas d’un sprint informationnel inopiné)
==> Si vous ne variez pas votre alimentation, même chose = ne lisez pas que les informations provenant des mêmes sources, avec le même traitement, le même niveau d’analyse, etc.
Bref, le sport c’est la santé, et sur un web de plus en plus soumis à une forme de déluge informationnel, varier les approches, les sources, etc., c’est préserver en quelques sortes sa santé cognitive (et ses capacités d’attention). En somme : ne pas rester passif et surveiller ce que l’on consomme est le meilleur moyen de ne pas se sentir alourdie par le volume d’infos à traiter.
Les infoGrasPhies sont-elles les Big Macs du web ?
Il y a 2 ans, je parlais sur ce blog du « web des corps gras », soulignant la manière dont l’information aujourd’hui était traitée de manière partielle, et surtout que sur le web ce qui marchait le mieux était les contenus synthétisés à l’extrême.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que cela ne fait que s’accentuer… Et les infographies en sont un bon exemple :
==> Une infographie propose de résumer visuellement des faits (plus facile à ingurgiter)
==> Une infographie est attirante car bien présentée (comme un hamburger)
==> Une infographie cite peu ou pas ses sources (tout est dans l’infographie, pas besoin de pousser plus loin)
==> Une infographie se partage facilement, elle peut être consommé sur place ou à domicile
==> Les infographies suivent aujourd’hui une certaine norme de mise en page, peu importe le sujet on se repère facilement entre chacune d’entre elles (comme les hamburgers)
En résumé : l’infographie est comme un plat préparé, on ne garde que le gras de l’information (ce qui donne la sensation de se nourrir), et on rajoute des additifs visuels pour lui donner plus de goût. Encore plus attrayant qu’une liste en 10 points.
Mais voilà : les infographies marchent ! Et elles marchent même bien sur le web. Ce qui amène à se poser plusieurs questions : les internautes sont-ils feignants ? Les blogueurs sont-ils feignants ? Ou, ce qui me parait plus plausible, les infographies ne viennent-elles tout de même pas répondre à une certaine sensation d’avoir trop d’informations sur un sujet ?
Et, comme pour le McDo que tout le monde critique mais où beaucoup vont quand même manger quand ils n’ont pas le temps, les infographies ne sont-elles pas addictives ? Pas besoin de faire une démonstration très poussée : entre faire des recherches sur le sujet de l’e-réputation par exemple, et obtenir en quelques clics un résumé graphique des principales données sur le sujet, on peut faire vite le choix…
De même, cela se retrouve dans le phénomène des Big Datas et de la Dataviz : ce n’est pas parce que l’on peut traiter un grand volume de données et les rendre visualisables, que l’on fait cela forcément bien (voir mon argumentaire sur ce sujet).
Face à la tentation du vite lu, vite digéré, il est difficile parfois de ne pas craquer. Au risque de devenir « infobèse », pas parce que l’on a ingurgité trop d’informations, mais par ce que l’on a consommé de la « mauvaise » information (i.e qui n’est pas sourcée, qui prend certains biais pour arriver plus vite au résultat, etc.).
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas parfois s’intéresser aux infographies ou autres listes en 15 points, mais plutôt qu’il faut développer une forme « d’infodiétique », une écologie cognitive que certains géants du web ont quant à eux bien intégré dans leurs fonctionnements.
Google, Facebook… les McDo du web ?
Certains chercheurs parlent « d’artefact cognitif » (voir notamment les travaux de Norman sur le sujet), défini comme : « Un outil artificiel conçu pour conserver, exposer et traiter l'information dans le but de satisfaire une fonction représentationnelle ».
Ce qui (pour schématiser) est le rôle d’un moteur comme Google : stocker les pages web, traiter l’information, et la représenter dans ses résultats pour la rendre accessible, et ainsi limiter de nombreux efforts cognitifs (imaginez comment rechercher de l’info sur le web sans moteurs : faisable mais au prix de nombreux efforts). En allant plus loin, pourrait-on aussi dire que Wikipedia est une forme d’artefact cognitif dédié à la connaissance encyclopédique (stockage, traitement et représentations de connaissances sur un sujet) ? Facebook, d’un point de vue des relations social, l’est à part entière selon moi…
Mais si ces artefacts sont utiles, ils jouent eux aussi de plus en plus sur une simplification de l’information, une mise en avant de ce qui parait le plus facile à consommer. Si beaucoup de gens vont au McDo, c’est qu’in fine les hamburgers, ça marche plutôt bien. Google fonctionne ainsi sur une logique plutôt similaire : si tout le monde va lire telle info sur telle sujet (qui plus est si cette personne est maintenant dans vos « cercles » ou dans votre région par exemple), alors c’est que celle-ci doit être intéressante… Et donc mise à disposition en premier !
Si la lutte contre l’infobésité passe par l’utilisation de ce type d’artefact donc (sur Facebook, vous ne pouvez suivre tous vos amis, sur Twitter les conversations sont masquées et les résultats de recherches liés à vos contacts, etc.) en termes de volume, elle passe aussi par des réflexions sur les notions d’autorité et de popularité inhérentes au classement des informations.
Est-ce que la manière dont telle plate-forme juge la qualité de l’information est bonne pour moi ? Dois-je forcément suivre les tendances pour bien me nourrir au niveau informationnel ? Mais, au final, qui y a-t-il dans nos assiettes numériques, quelle méthode de fabrication, quels ajouts de produits quelconques (algorithmiques) pour rendre cela plus attrayant ?
Des solutions ? Education à l’information et choix des filtres
Comme le souligne Aref et d’autres auteurs, la possible solution à cette prise de poids passe tout d’abord par une réelle éducation au média et à l’information. Piéger ses élèves sur Wikipédia, c’est impressionnant, mais leur apprendre à construire un article, à valider
une source, à dialoguer avec les auteurs, c’est mieux. Comme pour la nourriture matérielle, la nourriture de l’esprit passe par des restrictions, des explications, des réflexes à apprendre et des
risques à mesurer (là, vous me direz que ce n’est pas gagné pour la nourriture tout court…).
Cette problématique passe aussi par celle des filtres : qui amène l’information ? Comment traite-t-il cette information ? N’y a-t-il pas un risque de s’enfermer dans une bulle informationnelle ?
Quant aux volumes, si cela peut paraitre naturel à de nombreux professionnels de l’information d’utiliser des outils pour trier l’information, ce n’est malheureusement pas le cas pour tout le monde. Combien d’entreprises (toutes ?) mettent leurs collaborateurs devant un moteur de recherche en leur disant « ça c’est votre accès à Internet », et sans les former ?... Comme si cela était naturel (et je ne parle pas des boites mails qui suivent le même principe : avant de parler de supprimer les mails, ne serait-il pas intéressant d’expliquer comment faire une règle de gestion ?)…
Pour les entreprises qui communiquent sur le web, ces constats sont à intégrer aussi : de quelle manière le public que je cible consomme l’information ? Quelle qualité sur quels sujets ? Quel traitement par les filtres ? Y a-t-il trop ou pas assez d’informations sur le sujet ? A quel volume mes publics sont-ils exposés ? Un ensemble d’observations à faire pour ne pas tomber dans le biais des infographies partout, des vidéos pour chaque stratégie… Et surtout pour ne pas étouffer ses publics ou en ignorer d’autres.
Au final…
Si à la base j’ai souvent rigolé de cette expression « infobésité », il me semble après réflexion qu’elle est parlante pour expliquer certains phénomènes. Ce qu’elle englobe est cependant trop large, et la problématique de la surcharge ne doit pas s’expliquer seulement par le volume d’informations, mais bien par la manière de le traiter. Et encore, je n’ai pas parlé ici de la question du rythme…
De plus, la surcharge est parfois plus une sensation qu’un fait rationnel. C’est d’ailleurs là-dessus que jouent de nombreux éditeurs de contenus voire de logiciels : offrir des solutions qui rassurent, plus qu’elles ne règlent le fond du problème.
Si le web n’est pas forcément un facteur essentiel de cette sensation, la qualité des informations qui circulent et leur mode de traitement nécessitent tout de même de s’interroger sur l’impact à long terme que cela pourrait avoir.
Enfin, j'espère que ce billet assez long ne causera pas trop d'indigestions...
Et vous, comment abordez-vous la notion d’infobésité ? Que recouvre-t-elle ? Et, surtout, vous semble-t-elle utile ?!