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Petit rapport d’étonnement pour commencer l’année en
douceur… "Curator" et "curation" sont les deux termes qui montent sur le web ces derniers mois. Schématiquement l’idée est la suivante : la sélection de l’information sur les réseaux
numériques est de moins en moins algorithmique, et de plus en plus humaine. Comme la veille ?...
Ce qui est magique sur le web (entre autre) c’est sa propension à exploiter de nouvelles terminologies, à appeler un chat un « lol cat », ou encore un modérateur un « community manager » (et la liste est longue). Cette nouvelle année ne déroge pas à la règle, et voit l’apparition (ou plutôt l’application) d’un nouveau terme : le curator.
Selon Wikipedia (version anglaise, puisque ce terme est anglo-saxon) un curator est un spécialiste de la gestion de contenus, responsable de la gestion de collections (au sens de collections bibliographiques ou encore artistiques). En résumé on peut tout d’abord le considérer comme un conservateur (au sens de muséographique encore une fois).
Appliquée au web, cette idée de curation digitale vise à révéler une autre facette des usages numériques : la sélection, la mise valeur et en contexte, la diffusion, le partage, et l’archivage de productions 2.0 par et pour des internautes.
Bref, ne plus se reposer seulement sur des bases algorithmiques pour sélectionner l’information mais bien sur le choix d’êtres humains,
avec toute la subjectivité, la notion de choix et d’ego (j’y reviendrais dans un autre billet) que cela implique. L’algorithme n’étant d’ailleurs pas laissé de côté puisque de plus en plus de
plateforme de « content curator » se développent, classant (par exemple) les articles par popularité, par volume de partage sur Twitter ou Facebook, etc. (Pearltrees ou encore Scoop.it par exemple). Bref, des plateformes de bookmarking...
Le terme étant rapidement posé, voici les interrogations, les étonnements, que l’identification formelle de cette pratique engendre : au final, un curator n’est-il pas un veilleur ? Et peut-on intégrer cette mise à disposition d’informations qualifiées à un processus de veille stratégique (ie utile à la prise de décision) ?
Un veilleur curationne au quotidien
Un veilleur, au sein d’une organisation, a pour objectif principal la collecte, le tri, l’analyse et la diffusion d’informations pouvant se révéler stratégique lors d’une prise de décision. Au-delà des méthodologies et des outils, il peut être vu comme le nœud d’informations stratégiques du réseau que forme une organisation. Comme un curator sur un réseau dit social…
Un veilleur agrége parfois ses recherches sur une plateforme dédiée, afin de permettre à l’ensemble des collaborateurs d’y accéder simplement et de manière intemporelle (aspect documentaire). Les curators disposent eux aussi de plus en plus de plateformes visant à leur permettre de collecter et mettre à disposition le contenu de leurs recherches.
La valeur d’un veilleur s’estime par les informations qu’il trouve, un curator aussi… Les deux sont dépendant du système de diffusion
de l’information qu’ils utilisent, de la dynamique de partage existante et qu’ils peuvent développer. Au final, les veilleurs sont aussi des internautes, et la plupart curationnent (je néologise
beaucoup en ce moment ) sur leur temps libre par le biais des diverses plateformes web sur lesquelles ils sont
inscrits…
Alors quelles différences ?
==> Les informations (re)cherchées par un veilleur visent à répondre à une demande, à appuyer une décision (information-demande). Un curator est plus dans l’information-rupture, il répond à des attentes au niveau informationnel, mais pas à des demandes (très) précises.
==> L’expertise d’un veilleur est principalement méthodologique, peu importe la thématique il doit pouvoir faire remonter de l’information. Un curator est quant à lui (souvent) spécialisé sur une thématique précise, sa méthodologie importe peu puisqu’il n’a pas à la transposer de manière régulière.
==> Un professionnel de la veille en entreprise a, pour filtrer les informations qu’il collecte, des recommandations venant de ses commanditaires (enfin, espérons pour lui). Un curator se base sur ses propres critères, et surtout sur les attentes de ses lecteurs/amis/contacts/followers (s’il veut faire de l’audience).
==> Sur un réseau numérique, on choisit un curator sur des critères très souvent irrationnels : avatar, nom/pseudo, nombre de contacts, graphisme du compte, recommandation, volume d’informations diffusées, etc. Twitter en est un bon exemple… Posez-vous la question : comment avez-vous choisis la plupart des comptes que vous suivez ? Puis : comment avez-vous recruté le veilleur de votre organisation ? Même si une approche est très proche de l’autre (cooptation, etc.) les enjeux n’étant pas les mêmes, la sélection non plus.
On pourrait donc différencier le veilleur du curator principalement par la pratique balisée de la recherche d’information de l’un, face au côté « passionné » et social (au sens de partage visant à constituer un lien avec d’autres internautes ou membres d’une communauté) de l’autre.
Pas question de parler d’amateurisme VS professionnalisme (grosse erreur étant donné la qualité de certains fournisseurs d’informations présents sur les réseaux sociaux), mais plutôt d’usages : les usages d’un curator sont induits par les technologies web qu’il utilise, les usages d’un veilleur sont transposables à n’importe quel outil ou support.
Je ne parlerais pas ici de coût (salariale VS rien… pour un curator), même si j’ai déjà entendu cette remarque (« et si on laissait faire les internautes plutôt que de se payer une veille pro »). Comme dit juste au-dessus, un veilleur répond à des questions précises, là où un curator répond à des attentes lui permettant ainsi de se valoriser sur un réseaux ou une communauté numérique identifiée.
Le curator, ce signal fort
Cette idée de curation me rappel un fantasme de la veille et de l’intelligence économique (et du management), à savoir le « tous veilleur ». Ce concept qui laisse entendre que n’importe quel collaborateur de l’entreprise peut et doit faire remonter certains signaux informationnels aux décisionnaires. Je dis « fantasme », car au-delà de la pratique des outils de recherche et de tri de l’information, la veille (ou la curation pour rester dans le contexte) nécessite un état d’esprit, un intérêt et une approche de l’information assez développée (pas d’élitisme ici, mais juste un constat : chacun ses centres d’intérêts).
Le curator peut donc être vu pour l’organisation comme un veilleur alternatif, un annonceur de signaux forts, qui donne les tendances voir même qui les crées.
Car là est tout l’enjeux lorsque l’on parle d’e-réputation : plus un curator diffuse de l’information à valeur ajoutée, plus il est médiatisé. Et plus il est médiatisé, plus il devient un moteur de recommandation vers du contenu pouvant impacter les organisations.
Contrairement à de la veille stratégique le principe n’est alors plus de rechercher de l’information précise, mais de repérer les informations qui apparaissent comme les plus intéressantes pour une communauté, un réseau donné. Le curator devient alors le filtre ego-numérique du veilleur, celui qui lui permettra de trier ses données en fonction de l’importance qu’elles représentent pour les internautes. Et ce de manière encore plus évidente, puisque le web permet de chiffrer facilement l’impact des informations diffusées par une source identifiée.
Les risques ? Ils sont nombreux (mais pas insurmontables) : tout d’abord la qualification des informations diffusées par les curators, qui plus est dans un contexte en temps réel. Ensuite, le fait que lorsque l’on parle de réseau, on parle de microcosme informationnel, encore plus sur le web où les internautes se regroupent en communautés thématiques. Le signal fort peut vite devenir faible en comparaison de l’immensité du web, et surtout des objectifs stratégiques d’une organisation. Enfin, certains biais permettant de gagner en visibilité peuvent parfois induire en erreur : l’information gagne en médiatisation de manière « artificielle ».
En conclusion : curator = tiers facilitateur
Sans vouloir absolument franciser ce terme, j’emploie depuis longtemps (et je suis bien loin d’être le seul) le terme « d’agent ou tiers facilitateur ». Autrement dit, dans notre société d’abondance informationnelle et d’économie de l’attention, le fait que des outils (moteurs de recherches) ou des être humains (curators donc) permettent à chacun d’accéder plus aisément à des informations qualifiées, ou tout du moins qui viennent répondre à leurs attentes.
Cyniquement, je me permettrais même de citer la définition du Larousse de curateur (traduction littérale de curator) : « Personne chargée d'assister l'incapable majeur dans tous les actes que celui-ci ne peut accomplir seul. ».
Loin de moi l’idée de dire que les internautes sont incapables de trier l’information sur le web, mais l’idée d’assistance, de mise en avant de son savoir-faire, de sa pratique et de son appréhension de l’information dans un écosystème numérique en réseau, et ce au service des internautes les moins aguerris, me semble assez en adéquation avec le concept de curation tel qu’il est utilisé à l’heure actuelle sur le web.
Le terme importe peu donc, l’essentiel étant de constater que les usages évoluent, que le rôle de chacun dans « l’égosystème web » s’affirme de jour en jour, et que chaque organisation doit réfléchir à l’impact de ces nouveaux usages (et encore plus sur leur réputation). Etonnant tout de même de voir à quelle vitesse ce terme se diffuse chez les « spécialistes », et comment il va (risque ?) de se banaliser au fil du temps…
Alors, curator : buzz word ou réels usages ? Et vous, pensez vous que les curators sont des veilleurs ?!