Blog traitant de l'E-Réputation et des moyens de la surveiller : outils, méthodes, actualités... Venez faire vos courses chez nous!
Cet article est paru dans l'e-book "Tirer le meilleur parti de Twitter" (que je présenterai cette semaine sur le blog), sous le titre "Twitter : quand son insertion dans l’économie de l’attention devient une assertion pour l’économie de l’information".
Temps réel, scoops, rumeurs, mème, influence, médiatisation… Les « concepts » liés à Twitter sont nombreux. Il parait difficile
aujourd’hui de réfléchir au fonctionnement de l’économie dite de « l’attention » sur le web, sans prendre en compte cet outil et ses usages. Mais au-delà de son acceptation comme
composante à part entière du paysage numérique actuel, Twitter dévoile une autre réalité économique : pour produire/diffuser de l’information il FAUT être sur Twitter ! Au risque d’être
parfois piégé par un système dont les règles sont en constante redéfinition…
Les journalistes utilisent Twitter… Les entreprises utilisent Twitter… Les producteurs de contenus web utilisent Twitter… Les particuliers utilisent Twitter… Même les animaux de compagnies sont maintenant sur Twitter…
Si les usages semblent globalement similaires, les finalités, elles, sont parfois diamétralement opposées. Un journaliste a pour objectif de fournir à ses lecteurs une information vérifiée, et à son patron (si possible) une exclusivité par rapport à ses concurrents. Un blogueur visera souvent une meilleure diffusion de ses billets, soit in fine une hausse de la fréquentation de son blog. Un particulier visera à capter de l’information et à dialoguer avec ses contacts, etc, etc. Le tout en s’adaptant à trois des règles qui régissent Twitter : un contenu de 140 caractères maximum, l’idée de diffusion et d’interactions en temps réel, ainsi qu’une multiplication de sources pouvant diffuser des informations contradictoires sur le même sujet.
Seulement voila : lorsque ces divers objectifs s’entremêlent sur le même réseau, que la capacité d’usage de l’outil de micro-blogging varie considérablement d’un abonné à l’autre, il arrive souvent que certaines « vérités » sur Twitter et ses possibilités prennent le pas sur des constats moins émerveillés…
Voici quelques uns des constats que nous allons traiter dans cet article :
=> pour les producteurs/diffuseurs de contenus : l’ère du titre remplace peu à peu celui du contenu
=> pour les entreprises : le temps réel diffère du temps médiatique
=> pour les journalistes/veilleurs : qualifier l’information et les sources est la nécessité première
De l’ère du contenu à l’ère du titre
Lorsque l’on commence a expliquer ce qu’est Twitter, à sa grand-mère ou à son patron par exemple (l’un étant souvent aussi connaisseur sur le sujet que l’autre), on ne peut passer à côté de l’une des bases de son fonctionnement : s’exprimer en 140 caractères textuels.
Car au-delà des aspects de temps et de véracité de l’information que nous verrons ensuite, le micro-blogging (comme son nom l’indique) se caractérise par une nécessaire compression du contenu que l’on souhaite diffuser. Ce qui, de prime abord, n’est pas problématique si l’on se confine à l’utilisation première de ce service : relayer un événement que l’on observe en « temps réel ».
Mais comme tout outil Twitter a subi une modification de ses usages (surtout en France) pour non pas devenir un réseau « mainstream » où chacun décrit à son voisin la pomme qu’il est en train de déguster, mais un réel réseau d’informations où les « twittos » (utilisateurs de twitter) essayent d’attirer l’attention de leurs publics vers des contenus publiés sur le web (articles, vidéos, etc.). Il n’est d’ailleurs pas étonnant de s’apercevoir qu’une très large majorité de blogueurs possède un compte Twitter. Et qu’il ne sert parfois qu’à annoncer la sortie d’un nouveau billet (mais c'est un autre débat).
Il est de plus intéressant de constater que Twitter (littéralement « gazouillement ») a bien choisi l’analogie avec l’oiseau : la majorité des utilisateurs ne font que picorer l’information. Avec un minimum d’abonnements (disons une centaine), le volume d’informations qu’un utilisateur de ce service peut voir défiler dans la journée est parfois impressionnant. Il est alors raisonnable de penser que : 1) il ne lit pas l’ensemble des tweets qu’il voit passer 2) il ne clique pas sur l’ensemble des tweets qu’il lit 3) il ne lit pas l’ensemble des contenus vers lesquels ses clics l’ont renvoyé.
Naturellement donc (ou sauf s’il ne fait que ça de sa journée), un utilisateur de Twitter fait du tri, il sélectionne le contenu qu’il va lire en fonction de divers critères : le temps dont il dispose, le sujet du contenu vers lequel le tweet renvoi, la source vers lequel le tweet renvoi, la personne qui tweet… et bien entendu le contenu et la signification des 140 caractères en eux-mêmes !
Mettons nous maintenant à la place d’un blogueur, ou de tout autre personne qui diffuse du contenu sur Twitter. Au-delà du fait que ce service est réellement intéressant pour dialoguer avec ses lecteurs et d’autres blogueurs, il reste tout de même un outil incontournable de promotion de contenus (c’est souvent d’ailleurs l’une des sources amenant le plus de visiteurs vers un blog).
Les techniques pour attirer des twittos (et obtenir aussi des re-tweets) sont diverses et variées : choisir l’heure, le jour, renvoyé plusieurs fois le même tweet, etc. Mais au final, le plus efficace reste le tweet en lui-même, soit (souvent) le titre de l’article !
Si par exemple cet article s’intitulait : « comment être efficace sur Twitter en 5 étapes », il est quasiment sûre que son lancement sur Twitter ramènerait de nombreuses visites et serait sûrement re-tweeter plusieurs fois. Car sur Twitter, le tweet doit être explicite et résumer déjà en grande partie le contenu vers lequel il pointe. Au risque souvent d’induire en erreur le lecteur ou de le décevoir par un contenu trop pauvre par rapport à son titre prometteur.
Et comme nous l’avons dit, le twittos picore… Le temps réel le pousse à faire vite, à sélectionner l’article avant même de l’avoir lu, à être en quelque sorte dépendant du titre de celui-ci (ou du tweet qui l’annonce). Mais certains producteurs de contenus ne s’arrêtent pas seulement à un titre élaboré et explicite (attirant l’attention), et vont parfois plus loin en condensant leurs articles afin que ceux-ci s’insèrent au mieux dans la logique d’un contenu en 140 caractères : ils font des listes de titres, des infographies, des copiés/collés d’articles, etc.
Le contenu essentiel doit sauter aux yeux, car le temps de parcourir l’article, 15 autres tweets attendent d’être lus (certains parlent « d’infobésité », on peut pousser plus loin concept et remarquer parfois une certaine addiction à l’information). La compression du titre visant à attirer l’attention devient petit à petit une compression des idées et de l’argumentation pour rester en adéquation avec le rythme de lecture et de consommation de l’information imposé par la pratique du micro-blogging.
Le must étant de constater que très souvent des articles de plusieurs milliers de caractères sont re-tweeter sitôt leurs annonces faites : comme si un individu normalement constitué pouvait lire 3 pages en quelques secondes…
Que faut-il retenir ?
1) Pour être lu et/ou re-tweeté, le titre d’un article doit être pensé en fonction des « règles » d’usages de Twitter : explicite, court, aguicheur…
2) Un twittos retiendra plus facilement un titre qu’un contenu en lui-même. D’ailleurs, lorsque l’on fait une recherche sur Twitter on se base sur des mots-clés précis, qui ont intérêt à être dans le titre.
3) Cette volonté d’attirer l’attention en simplifiant au maximum ses idées se ressent de plus en plus sur les contenus en eux-mêmes.
Temps réel + temps médiatique = temps communautaire
Si manitenant l'on demande à une personne un peu plus au fait du micro-blogging et de ses usages (votre grand-mère a ses limites), quelle « révolution » ce nouveau système de production de contenu a apporté au web, il est fort probable que celle-ci vous réponde : le temps réel !
Au-delà du fait que la notion de temps réel n'a pas été inventée par Twitter (le « direct live » existe depuis un certains temps dans les médias par exemple), son appréciation par les entreprises est souvent confondue avec celle du temps médiatique...
Car nous pouvons partir du principe qu'il y a plusieurs « temps » : le temps politique, le temps sociétal (développement durable par exemple), le temps concurrentiel, etc. Et le temps médiatique : celui où une information arrive sur le devant de la scène, où son relais par les médias et ses acteurs fait d'elle un « fait de société ».
Pour illustrer cela plus concrètement :
==> un i-phone explose au visage d'un utilisateur aux USA le vendredi à 01h du matin (heure de Paris) => événement
==> plusieurs personnes tweet l'événement en direct (elles étaient juste à côté quand cela à eu lieu) => temps réel
==> c'est seulement le lendemain (samedi) que la majorité des utilisateurs de Twitter et d'I-phone relais la nouvelle => appropriation « communautaire »
==> le lundi matin, des journalistes s'en sont emparés et en font la une de leurs journaux => temps médiatique
Autrement dit, il existe toujours un temps de battement (sauf peut-être pour certains événements touchant une majorité de personnes, comme un attentat par exemple) entre le moment où une information est diffusée en temps réel, et où celle-ci est reprise par diverses communautés d'intérêts sur les réseaux sociaux pour devenir un fait médiatique.
Schématiquement : temps réel (diffusion de l'information) + temps médiatique (la visibilité de l'information s'accroît) + web 2.0 (échange, partage, déformation de l'information) = temps communautaire
Ce « temps communautaire » devient un enjeu important pour tout producteur de contenu, et spécialement pour les organisations souhaitant utiliser Twitter comme moyen de promotion de leurs produits, ou tout simplement comme outil de veille. Il est autant utile de repérer une information concernant son organisation lorsque celle-ci est diffusée « en direct », que d'avoir défini à l'avance qui seront les personnes (leaders d'opinions, « influenceur », etc.) pouvant rendre visible très rapidement cette information au sein d'une communauté.
Ce laps de temps peut être réellement utile pour préparer une stratégie, prendre du recule face à un événement négatif, définir un argumentaire, etc.
De plus, il apparaît comme nécessaire pour les organisations de bien appréhender le rythme de vie numérique des communautés qu'elles observent et sur lesquelles elles souhaitent s'appuyer pour diffuser un message : quels sont les temps morts (week-end, jours fériés, etc.) ? Quels sont les sources/personnes déclenchant généralement un « re-twittage » de masse ?
Une organisation devra donc prioritairement s'intéresser non pas au rythme de diffusion des informations la concernant sur Twitter, mais au rythme d'utilisation de ce même outil par les communautés/réseaux d'utilisateurs qui font vivre la ou les thématiques la concernant sur le web dit 2.0.
En bref, faire du tri avant de veiller, observer et temporiser avant d'agir. Au risque sinon de vite s'essouffler et de développer un anachronisme numérique incompatible avec les attentes des usagers du web (« ils ne m'ont toujours pas répondu », « aucune réactivité », etc.).
Qualifier ses sources et ses informations : des bases à se rapproprier
Récapitulons : Twitter est régie par une logique de la compression des idées, du 140 caractères et du titre roi. Qui plus est, le temps réel est devenu un élément inhérent aux pratiques communautaires numériques, temporalité variant d'un groupe d'utilisateurs à l'autre.
Au milieu de tout cela donc, les professionnels de l'information, tout du moins de sa collecte et de son traitement (spécialement les veilleurs et journalistes), doivent s'adapter à ce nouvel environnent où vitesse est souvent confondue avec précipitation, et où tout est parfois possible pour attirer l'attention.
Et certains, que ce soit pour rigoler/ironiser, voir plus rarement pour lancer des rumeurs à l'encontre de concurrents (économiques ou politiques), n'hésitent pas à créer de « faux comptes » dont les informations sont réellement visibles mais faussement informatives : bref, faire du faux pour faire croire au vrai, tout en donnant un peu de vrai pour ne pas faire trop faux (est-ce assez clair ?) !
Libération a par ailleurs publié, en ce début du mois d'octobre 2010, un papier concernant ces « faux comptes » . Ce qu'il en ressort, non pas de plus important mais plutôt de plus inquiétant pour le métier de journaliste, est que cela marche : de nombreux journalistes tombent dans le panneau, et utilisent les informations diffusées par des comptes Twitter douteux pour écrire des articles !
Bien évidemment, ces comptes paraissent « douteux » après-coup... Et d'ailleurs, même l'AFP se permet maintenant de reprendre des tweets comme dépêches ! Vérifier ses sources et qualifier l'information est peut être devenu désuet à l'heure du « temps réel » et du « 140 caractères » ?
Partons du principe que non, et voyons quelles sont les possibles méthodes pour s'assurer que l'information que l'on pêche sur Twitter n'est pas avariée, voir même pire, toxique :
==> Ne pas se reposer sur la biographie présente sur Twitter : aller plus loin en cherchant quels sont les autres lieux numériques où se trouvent la personne, vérifier si le compte Twitter qu'elle présente sur ses autres outils (blogs, etc.) est bien le même.
==> Si le compte est « anonyme » (pseudonyme), laisser un temps de battement après diffusion de l'information, et voir si celle-ci se retrouve dans d'autres comptes « officiels » (en tout cas pas anonymes et traitant du même sujet). Car sur Twitter, comme ailleurs sur le web, l'exclusivité n'existe pas réellement, on peut toujours retrouver la même information provenant d'une autre source (surtout pour un événement ayant une portée médiatique forte)
==> Identifier le réseau de ce compte : quelles sont les comptes qu'il suit, qui le suivent ? Et quels sont leurs réseaux ? L'idée étant de repérer si le compte en question ne fait pas partie d'un réseaux de faux comptes (par exemple). Un outil (enfin plutôt un gadget) comme Mention Map permet de visualiser de manière heuristique ce type d'informations.
==> Prendre en compte le temps communautaire : laisser (encore une fois) un temps de latence afin de voir si la communauté la plus active sur la thématique ne réfute pas d'elle même l'information diffusée.
Ces 4 approches ne sont bien entendu pas les seules, mais il apparaît comme impossible de lister toutes les possibilités, tant elles varient en fonction de la nature de l'information, du type de comptes, etc.
Mais l'outil principal, qui lui n'est pas numérique, pas 2.0, mais tout à fait maîtrisable par tous, est l'esprit critique ! Ne pas se laisser subjuguer par la technologie, toujours penser qu'un être humain est derrière une information, qu'un être humain est le destinataire de cette information, et que par conséquent l'idée même de fiabilité et d'objectivité est toujours toute relative...
Au final : une nouvelle dialectique numérique ?
Twitter n'a donc pas révolutionné notre société de l'information et de l'immatériel en elle même, mais a induit peu à peu une nouvelle façon de consommer et diffuser l'information : compression des idées, rapidité des échanges et nouvelle temporalité, brouillage de la notion même d'autorité et de fiabilité des sources.
On pourrait même dire que Twitter a permis le développement d'une « grammaire du gazouillis »... On ne dit pas (par exemple) « tiens je vais micro-bloguer », mais « je vais tweeter », etc. Twitter est devenu un verbe, un adjectif, un nom, voir un objet sémantique à lui tout seul...
Cet article en est d'ailleurs un bon exemple, sur 2475 mots, les termes liés à Twitter (utilisant de près ou de loin son « étymologie ») sont au nombre de 63 !
Alors, amis twittos et twittas, quel tweet allez vous tweeter pour annoncer cet article sur Twitter ?