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Voici un rapport d’étonnement concernant Yahoo news et sa tendance à modifier le sens d’une information (et pas seulement sa forme) pour attirer l’attention des internautes. Ils ne sont bien entendu pas les seuls, et cet « étonnement » est suivi de quelques réflexions…
Les faits
Alors que je venais de consulter mes mails sur Yahoo, je quitte ma boîte et tombe, comme à chaque fois, sur l’interface News de Yahoo.
Je remarque alors un article concernant la libération des deux jeunes françaises emprisonnées en République Dominicaine :
Je peux y lire que « Carla Bruni Sarkozy a joué un rôle décisif dans leur libération ». N’étant pas plus que ça au courant, et m’interrogeant sur le rôle de la première dame de France, je décide de cliquer pour aller lire l’article.
Là, je suis dirigé vers l’agrégateur de Yahoo News, qui ne montre qu’un extrait de l’article d’origine. Mais déjà le titre a évolué…
Le terme décisif est en effet placé entre guillemets. Tiens, le rôle de C. Bruni ne serait donc que prétendument « décisif ».
Je décide donc de lire l’article en entier (sur LePoint.fr) afin d’obtenir la totalité de l’information. Et là, (re)surprise :
Confirmation : le rôle « décisif » a été prêté (par le secrétaire d’Etat à la coopération) à C. Bruni.
D’une information affirmative sur le rôle d’une personne dans un événement, on s’aperçoit donc en allant à la source que les actions ne sont que supposées… L’information, son sens, a donc été volontairement modifiée, affirmant quelque chose de circonstanciel et qui n’est pas corroboré (cf : qualification d’une source et d’une information).
Attirer l’attention : communiquer n’est pas informer
Dans notre société dite de l’information, de la (sur)abondance de flux d’informations, le rôle premier de toute bonne campagne de communication est d’attirer l’attention des cibles. En l’occurrence, pour Yahoo, inciter les internautes utilisant leurs boites mails à naviguer sur leur homepage (générant ainsi des vues pour la publicité, etc.).
Certains pourront me dire qu’avec le faible espace pour l’accroche il paraît nécessaire de raccourcir le titre… Pourquoi pas pour la première image. De même, dans la presse ou dans les blogs, un titre doit être accrocheur pour inciter à la lecture. Mais là, en l’occurrence, il ne s’agit pas juste d’un titrage racoleur : l’information fournie par Le Point a été modifiée volontairement, la dénaturant et induisant en erreur le lecteur !
Et soyons réalistes, dans le cas présenté ici, rares sont les personnes qui comme moi sont allés jusqu’à lire en détail la source de l’information. Beaucoup ont dû simplement s’arrêter au titre, intégrer la donnée erronée (ou tout du moins non mise en perspective), et l’interpréter comme une information vraie (puis éventuellement la relayer).
Ce fait amène donc à plusieurs réflexions/interrogations. Comme le souligne Dominique Wolton, communiquer n’est pas informer. Informer c’est créer de la valeur ajoutée, transformer la donnée en information afin de générer un savoir (puis une connaissance). Informer vise principalement à faciliter la compréhension (d’un événement par exemple). Communiquer consiste essentiellement à transmettre l’information à autrui, à la mettre en forme pour qu’elle atteigne le récepteur voulu du message (de l’information) envoyé.
Dans le cas présent, Yahoo n’a pas informé son lectorat d’un événement (auquel cas il aurait dû mettre en doute et perspective les dires du secrétaire à la coopération), mais a plutôt communiqué sur cette actualité. En voulant créer une interaction avec les internautes, en voulant attirer leur attention, Yahoo n’a pas pris en compte qu’il pouvait les induire en erreur.
Et au niveau de l’e-réputation des marques ?
Comme le souligne la sociologue américaine Danah Boyd les internautes consomment du contenu qui déclenche chez eux une réaction, et non pas le plus informatif ou le plus qualitatif.
Serait-il donc légitime pour une marque (ou un producteur de contenu web) de ne pas miser sur la transparence, mais seulement sur l’accroche pour la vente et la mise en ligne d’un produit ?!
Par exemple :
==> Un adwords attirant l’attention : la lessive qui nettoie toutes les tâches
==> Sur la page du blog de l’entreprise : la lessive qui nettoie toutes les tâches, avec une bonne machine
==> Sur la page détaillée du produit : la lessive qui nettoie toutes les tâches, avec une bonne machine, et si la tâche n’est pas trop grasse et incrustée…
En bref, là où le web permet plus de transparence car plus d’interactions et de sources de vérifications, la façon de communiquer reste la même. Ne pas informer le consommateur en privilégiant la communication sur les attributs les plus remarquables d’un produit (voir en tronquant l’information elle-même), amène sur le web à de nombreuses déconvenues… Bien entendu il est toujours temps ensuite de « nettoyer le net », ou encore de surcharger de communication positive les moteurs de recherches pour diminuer l’impact d’une communication faussée… Ou pas ?!
Cet exemple est aussi une bonne amorce pour expliquer le concept de rumeur. En effet, d’une information de base, et après trois relais, il y a une déformation visible. Imaginez cela appliqué à une marque ou une personne : votre produit peut, dans de rares cas, provoquer des allergies ==> votre produit peut provoquer des allergies ==> votre produit est allergène ==> « le produit X est-il mortel ? », etc.
Dans un monde 2.0 dopé au temps réel, où seulement 140 caractères servent à relayer une information, les biais d’interprétation d’une information sont de plus en plus flagrants.
De même sur Twitter, où je m’interroge quotidiennement sur les personnes qui re-Tweet une info sans lire la source (on ne peut pas lire un article de 15 000 caractères en 3 minutes avant de le tweeter), ce genre de pratiques ne va faire, à mon avis, que se développer.
Comme le soulignait d’ailleurs récemment Cédric Deniaud dans l’un de ses articles les internautes sont de plus en plus relais de l’information plutôt que producteurs de contenu. Il est courant de voir une même information publiée un nombre incalculable de fois sur des blogs, puis re-tweetée, mise sur des profils Facebook, etc. Seulement, j’ai pu m’apercevoir (au-delà des classiques copié/collé sur de nombreux blogs) que beaucoup de « producteurs de contenus » pensent fournir une analyse là où il ne s’agit que d’une interprétation. Ils ne créent pas de valeur ajoutée (mais ils communiquent avec leurs lecteurs), c'est-à-dire qu’ils ne viennent pas, par exemple, mettre en perspective ou comparer voir investiguer un fait. Leur « analyse » ne part donc souvent que d’affirmations non corroborées d’autres bloggeurs (et je ne m’exclue pas, cela m’est déjà arrivé et m’arrivera sûrement encore). Et de relais en relais, d’interprétations en interprétations, l’information perd de son sens, voir en trouve un autre !
Au niveau de la veille d’opinion, il faut donc bien prendre en compte cet usage du relai et les déformations qu’il entraine. Toujours se rappeler que la vérité n’est pas ce qui est mais ce que l’on croit, et qu’il est par conséquent important de se concentrer sur la source d’origine d’une information puis sur l’interprétation (attention + accaparation + communication) que les internautes (ou les cibles visées) en font.
Et vous, qu’en pensez-vous ?!