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17 octobre 2014 5 17 /10 /octobre /2014 13:33

« L'éthique c'est l'esthétique du dedans » (P. Reverdy). Chacun la sienne donc… Mais lorsqu’un community manager incite ses publics à cliquer sur un contenu, a-t-il conscience que, à proprement parler, il fait « travailler » ces dits publics ? Et que s’il peut générer d’éventuels bénéfices pour son organisation (réputation, chiffre d’affaires ?), c’est surtout les plateformes sur lesquelles il communique qui sont les grandes gagnantes ? Comment considérer ce « digital labor », ce travail numérique, et comment valoriser voire rémunérer leurs actions au-delà des classiques remerciements ?

 

 

Stratégies numériques : quelle éthique concernant vos travailleurs du clic ?

La question des « digital labors » anime depuis quelques années la communauté scientifique. Pour reprendre une définition fournie par Antono Casilli et qui me semble claire : « Le digital labor désigne les activités sur les réseaux socionumériques qui peuvent s’assimiler au travail parce que productrices de valeurs ». Il s’agit d’une problématique complexe que l’on peut aborder sous plusieurs angles et questionner par divers prismes d’analyse.

 

Dans ce billet que je veux court, je vais me concentrer sur le fait que les stratégies numériques des organisations amènent les internautes à produire de la valeur : en exposant des données personnelles = valeur directe pour l’organisation qui va les exploiter + pour les plateformes qui les traitent ; en favorisant l’insertion des usagers dans une économie de l’attention = pérennisation des modèles des plateformes et donc de leurs financements (publicité, valeur boursière, etc.). La question étant : les entreprises ont-elles bien conscience que leurs actions de community management (entre autre) génèrent des externalités sur lesquelles elles n’ont aucun « contrôle » ? Et ce faisant, quelle éthique avoir vis-à-vis des « communautés » dont on exploite les capacités cognitives ? Voire un système de rémunération ?

 

Bref, je veux plus poser un constat qui pourrait amener à des réflexions pragmatiques, qui plus est quand la majorité des organisations aiment à se définir par leurs valeurs (toujours humanistes), et que ces mêmes valeurs ne pèsent plus bien lourd lorsqu’elles sont absorbées par les plateformes. Mais aussi partir de l’idée qu’un jour ou l’autre ce « travail gratuit » deviendra un frein aux actions de communication en ligne, les travailleurs du clic prenant conscience de ce qu’ils apportent face à ce qu’on leur rend. Ce qui est de plus en plus le cas avec les données personnelles...

 

 

 

L'annonceur, ce sous-traitant de Facebook, Google & co ?

 

Lorsque qu’une organisation décide de se lancer sur Facebook (par exemple) elle se fixe (si tout va bien) des objectifs. Et pour mesurer les résultats elle dispose de l’ensemble des indicateurs proposés par la plateforme. De même avec le SEO et Google Analytics, etc. Comme je le répète souvent il convient à l’organisation de définir ses propres indicateurs, de ne plus seulement compter les likes et les RTs, pour se focaliser sur le commun des communautés, bref ce qui fait la communication.

 

Mais au-delà, ces indicateurs, cet engagement que l’on recherche comme le Graal, ces likes et autres partages qui amorceront une diffusion virale (ou pas), ne répondent pas réellement aux objectifs de l’organisation : ils incitent les community manager à renforcer les modèles économiques des plateformes. Ce faisant, les « appels aux likes » (la Croix Rouge par exemple) peuvent être vus comme un ensemble d’offres d’emplois : venez travailler pour Facebook, en likant vous produisez de la valeur, et leurs actionnaires investissent en fonction de celle-ci.

 

Certes, cela est un peu caricatural… Mais pas tant que ça ! Imaginez un monde où une entreprise dirait à un community manager : pourquoi te rémunérer alors que tu passes tes journées à discuter sur des outils sympas et à relayer des vidéos marrantes ? Ou à un veilleur : vu comme tu engranges des connaissances en faisant ta veille, tu es déjà bien assez gagnant. Pour un utilisateur lambda d’une plateforme web (et nous le sommes tous) cela revient exactement au même. Pour certains bénéfices clairement identifiables (communication, distraction, etc.), et très clairement mis en avant, il donne de son temps, de ses capacités cognitives, de ses idées, de son affect, pour en retirer au final des bénéfices bien maigres comparés à ceux des plateformes. Et je ne parle pas ici que de bénéfices monétaires. Les traitements possibles de nos données, si elles étaient mises à disposition ou si les plateformes partageaient réellement une partie de leurs analyses, nous apprendraient beaucoup sur nous et deviendraient un atout pour nos vies professionnelles comme personnelles.

 

Si l’on entend souvent « si le service est gratuit, alors c’est que vous êtes le produit », alors pourquoi ne pas considérer une entreprise qui ouvre une page Facebook comme un produit d’appel ? Le community manager devenant une sorte d’agence d’interim qui, en poussant à l’interaction et au dévoilement de soi, permet à Facebook d’identifier les meilleurs « employés » dont les données personnelles et le comportement pourront s’insérer dans des stratégies publicitaires.

 

 

Economie du partage, de l’attention et de la réputation sont dans un bateau…

 

L’économie du partage tombe à l’eau… Qui reste-t-il ?

En effet, il me semble bien péremptoire de voir les actions de partage sur le web (fussent-elles pour une cause noble ou « éthique ») comme une réelle économie. Il me semble plus juste de considérer le partage comme un levier attentionnel, un marché de l’économie de l’attention dont la rémunération est la réputation. Bien référencer un site sur Google est nécessaire pour une organisation. Mais ce faisant, elle permet à Google de développer son modèle de capitalisme linguistique, et ainsi de trouver là aussi un produit d'appel pour mieux disséquer les mots-clés utilisés par les internautes (entre autre chose) et ainsi favoriser par la suite la vente de publicités.

Mais être bien référencé sur Google permet de gagner en réputation (par un mécanisme de mesure de la popularité). Un internaute visitant votre site profite-t-il de cette réputation ?

 

Si l’on prend l’exemple de Twitter et de la « social TV », voir apparaitre son tweet à la télévision est clairement une rémunération sous forme de réputation. Un contrat implicite : tu fais connaitre mon émission, j’affiche ton nom à l’écran. Là encore c’est Twitter qui, en étant toujours à la recherche d’un business model fiable oriente de plus en plus notre attention, est le grand gagnant. Et dans un deuxième temps le chaine de télévision… Et l’utilisateur de Twitter ?

 

Autre exemple qui me concerne : Overblog vient de rendre systématique la publicité sur les blogs qui ne versent pas leur obole à la plateforme (comme vous pouvez le voir). En produisant du contenu, en le relayant sur Twitter ou ailleurs, je vous insère dans une économie de l’attention qui profite autant à Overblog qu’aux autres plateformes par lesquelles vous accédez à mes contenus. Vous y gagnez (si tout va bien :-)) quelques éléments pouvant participer à vos réflexions. J’y gagne surement en notoriété, en visibilité, bref en réputation. Certes, je pourrais allez voir ailleurs (et cela ne devrait pas tarder). Certes, vous n’êtes pas obligés de lire mes billets, et encore moins de cliquer sur les publicités. Mais dans tous les cas vous fournissez des données personnelles à Overblog, à Google, etc. Vous renforcez un modèle économique de manière non-intentionnelle.

Sur cet exemple on pourrait débattre longuement de l’intérêt de la publicité ou pas sur le web, des modèles alternatifs, etc. Mais la question n’est pas que là il me semble. Elle est la suivante : comment en tant que producteur de contenu dois-je estimer l’attention que vous portez à mes écrits, dois-je intégrer les capacités cognitives que vous engagez à me lire à mes stratégies pour que le temps passé sur ce blog vous (r)apporte quelque chose d’autre que le plaisir de lire de superbe et pertinents billets ?

 

 

Vers une éthique de la communication sur le web intégrant la juste valeur des actions des publics ?

 

L’éthique vue comme la « science qui traite des principes régulateurs de l'action » est réellement au centre de ces questionnements. Il faut commencer à prendre en compte que ce qui régule les actions de communication sur le web est le modèle économique édictée par les plateformes. Et dont les algorithmes sont les exécutants, et les actionnaires les donneurs d’ordre. Le fait de faire travailler ses publics doit questionner les entreprises qui basent toutes leurs actions marketing sur la recherche du like, du RT, en somme du partage.

 

Loin de moi l’idée de dire : arrêtez tout, Facebook & co sont des méchants. Non. Mais plutôt : si vous continuez comme ça sans prendre en compte qu’un jour ou l’autre les gens ne seront plus dupes, qu’ils considéreront donner déjà bien assez aux plateformes pour des services de plus en plus restreints et dirigés, alors pourquoi viendraient-ils encore aider les entreprises à bénéficier des quelques miettes que leurs laissent les plateformes ? Et encore, si l’on continue sur l’exemple de Facebook, les « miettes de l’engagement » deviennent elles aussi payantes…

 

Comme pour toute stratégie évaluer les tâches de chacun est nécessaire. Mais aussi évaluer le coût et l’implication demandés pour l’exécution de ces tâches. A quand des plans stratégiques qui évaluent ce que coûte (en termes de temps, d’attention, etc.) à un internaute de participer à ladite stratégie ? Et ce que ça lui rapporte ? Et ce que cela rapporte aux plateformes ? Et au final, ce qu’elles redistribuent réellement autant à l’entreprise qu’aux publics ?

 

Si nous vivons une période de « privacy washing » (i.e. non, non, nous avons une éthique de la donnée personnelle) alors je mise sur le fait que bientôt de nombreuses actions de communication s’orienteront vers la question du digital labor. Les premières entreprises qui se fixeront des règles éthiques dans leur action de community management ne seront ainsi surement pas considérées comme des « exploiteurs du savoir et de l’attention ». Qui plus est dans un contexte économique « difficile » (ce qui est un euphémisme). Plus qu’une question de paraitre, je pense qu’il s’agit aussi d’une réelle réflexion sur ce que le numérique change dans les relations entre les entreprises et leurs publics… Et comme je le disais au début : chacun son éthique, mais mieux vaut développer la sienne, affirmer réellement ses valeurs que subir ou accepter sans recul celles des autres !

 

Et vous, vous considérez vous comme des « travailleurs du clic » ? Comment intégrez-vous ce questionnement à vos stratégies ?!

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commentaires

J
Bonjour, celui qui écoute une radio - l'auditeur - produit aussi de la valeur pour cette radio - le diffuseur -. Radio qui exploite cette valeur - audience - pour la revendre aux annonceurs sans que l'auditeur qui la produit ne soit en quoi que ce soit bénéficiaire de la revente de la valeur qu'il a contribué à produire. . . . Oui, . . . non ? <br /> Bon w-end.
C
Bonjour,<br /> <br /> En l'occurence l'audience est une construction qui ne permet de distinguer précisemment l'effort attentionnel produit par chacun, et qui ne suppose pas une interaction directe pour produire du contenu.<br /> Mais cela reste dans tous les cas une monétisation de l'attention (mais ici supposée donc).

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